Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

petite ville déchue à cinquante kilomètres de Jumala, où le nouveau commissaire-délégué, en réponse aux félicitations de ses fonctionnaires subordonnés indigènes, leur fit un discours. C’était un discours soigneusement préparé, qui aurait été fort convenable si sa troisième phrase n’eût commencé par : « Hamara hookum hai… C’est mon ordre. » Un rire s’éleva, clair comme un son de cloche, de derrière la grande tente, où se tenaient quelques propriétaires terriens de la Marche, et le rire s’enfla et avec lui le dédain qui s’y mêlait, et la figure maigre et attentive de Debendra Nath Dé pâlit, et Grish Chunder se tournant vers Tallantire prononça :

— C’est à vous… à vous de faire cesser ce désordre.

Sur l’instant un fracas de sabots de cheval résonna au dehors, et l’on vit entrer, jurant et poudreux, Curbar, le chef inspecteur de la police du district. Depuis dix-sept fâcheuses années l’État l’avait jeté dans un coin de la province, où il empêchait la contrebande du sel, et où il espérait un avancement qui ne venait jamais. Il avait oublié la façon de tenir propre son uniforme blanc, avait vissé des éperons rouillés dans des souliers de cuir de marque, et se servait comme couvre-chef indifféremment d’un casque ou d’un turban. Aigri, vieilli, ravagé par le chaud et le froid, il attendait le moment de se voir allouer une pension suffisante pour l’empêcher de mourir de faim.

— Tallantire, dit-il sans regarder Grish Chunder Dé, venez dehors. Je veux vous parler. (Ils s’éloi-