Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout le régiment. Étant donné que nous sommes tes meilleurs amis, nous n’avons laissé personne te molester. Pas encore. Nous voulons nous occuper de toi nous-mêmes. Bats-toi contre qui tu veux… nous ou l’ennemi… mais tu ne coucheras plus jamais dans ce lit où tu es, et il y a plus de gloire et peut-être moins de coups à recevoir en combattant l’ennemi. Voilà qui est parler franc.

— Et il nous a dit de sa propre bouche d’aller nous unir aux moricauds… tu as oublié cela, Dan, dit Horse Egan pour justifier la sentence.

— À quoi bon embêter ce type. Avec une balle tout sera réglé. Dors bien, Mulcahy. Mais tu as compris, n’est-ce pas ?

Pendant quelques semaines Mulcahy comprit fort peu de chose à n’importe quoi, si ce n’est qu’il avait toujours à son côté, au camp ou à l’exercice, deux solides gaillards qui d’une voix douce l’adjuraient de faire hara-kiri pour éviter qu’il ne lui arrivât pis — de mourir pour l’honneur du régiment en décence parmi les coutelas les plus proches. Mais Mulcahy redoutait la mort. Il se rappelait certaines choses que les prêtres lui avaient dites dans son enfance, et il revoyait sa mère — pas celle de New-York — se réveillant en sursaut avec des cris d’effroi et priant pour l’âme en peine du mari. C’est fort bien d’avoir une intelligence cultivée, mais en temps de malheur l’esprit de l’homme revient à la foi qu’il a sucée avec le lait de sa mère, et si cette foi manque de charme il s’ensuit du désagrément. De plus, la mort qu’il allait devoir affronter serait