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— Je ne songeais pas spécialement à être soldat en ce temps-là, reprit Learoyd, toujours sans quitter de l’œil la pente dénudée d’en face, mais ce que tu dis là me le remet en mémoire. Ils étaient si bons, les gens de la chapelle, qu’ils se rejetaient à l’inverse. Mais je tenais bon pour l’amour de Liza, d’autant qu’elle m’apprenait à chanter la partie de basse dans un oratorio que Jesse était en train d’organiser. Elle chantait comme la grive elle-même, et nous nous étions exercés chaque soir depuis environ trois mois.

— Je sais ce que c’est qu’un oratorio, dit Ortheris doctement. C’est une sorte de caf’conc’de curé… des paroles toutes de la Bible et des refrains à tout casser.

— La plupart des gens de la montagne de Greenhow jouaient d’un instrument ou de l’autre, et ils chantaient tous si bien que vous les auriez entendus à des kilomètres de distance, et ils étaient si contents du bruit qu’ils faisaient qu’ils ne désiraient même pas avoir quelqu’un pour les écouter. Le prédicateur, quand il ne jouait pas de la flûte, chantait les secondes parties hautes, et moi comme je n’en savais pas encore beaucoup sur le violoncelle, on me mit tout auprès de Willie Satterthwaite, pour lui pousser le coude quand il devait jouer. Le vieux Jesse, qui était chef d’orchestre et premier violon et chanteur principal, était heureux comme pas un de battre la mesure avec son archet, au point que parfois il le tapait sur son pupitre et s’écriait : « À présent il faut tous vous arrêter ; c’est mon tour. »