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Ortheris avec jovialité. Nous, nous allons faire son affaire à votre individu. Il n’y en a pas un de vous autres, par hasard, qui l’aurait descendu la nuit dernière ?

Non. Ce porc-là est parti en se fichant de nous. Moi, je lui ai tiré un coup de fusil, dit un simple soldat. C’est mon cousin, et c’est moi qui aurais dû laver notre déshonneur. Mais je vous souhaite bonne chance.

Ils s’en allèrent à la montagne nord avec circonspection, Ortheris en tête, parce que, comme il disait, « c’est ici une démonstration de tir à longue portée, et je ne veux pas le rater ». Il avait pour son fusil un culte quasi amoureux, et le bruit courait même dans la caserne qu’il lui donnait un baiser chaque soir avant de se coucher. Il professait du mépris pour les charges et corps-à-corps, et quand ceux-ci devenaient inévitables, il se glissait entre Learoyd et Mulvaney, en les priant de défendre sa peau à lui en même temps que la leur. Jamais ils n’y manquèrent. Il trottinait donc parmi les bois de la montagne, quêtant comme un chien qui a perdu la piste. Satisfait à la fin, il se laissa aller sur la pente tapissée d’aiguilles de pin qui offrait une vue dégagée sur le cours d’eau et sur le versant de montagne sombre et nu qui était au delà. Les arbres faisaient une pénombre parfumée dans laquelle tout un corps d’armée aurait pu se mettre à l’abri de l’aveuglant éclat du soleil.

— C’est ici la pointe du bois, dit Ortheris. Il est forcé de remonter le cours d’eau, parce qu’il y