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toi cette fois-ci, par miracle, que lui dit maman Shadd. — Alors, dites-moi comment il se fait que je ne l’aie pas encore vue ? que je dis. — Parce que ces trois dernières années vous étiez tout le temps à fricoter avec les femmes mariées. Jusqu’à l’an dernier elle n’était qu’un petit bout de fillette, et elle a poussé d’un coup avec le printemps, que dit la vieille maman Shadd. — Je ne fricoterai plus, que je dis. — Parlez-vous sérieusement ? que dit maman Shadd, en me regardant de travers, comme une poule regarde un épervier alors que ses poussins courent en liberté. — Mettez-moi à l’épreuve, que je dis, et vous verrez. » Là-dessus j’enfile mes gants, vide mon thé et sors de la maison aussi raide qu’à une revue générale, car je sentais dans le creux de mon dos les yeux de Dinah Shadd qui me suivaient par la fenêtre de la relaverie. Vrai, ce fut la seule fois où je regrettai de n’être pas dans la cavalerie, à cause des éperons à faire tinter.

« Je me mis à réfléchir, et je fis des tas de réflexions, mais elles aboutissaient toutes à ce brin de fille en robe bleue à pois, et à ses yeux bleus remplis de scintillements. Puis je cessai d’aller à la cantine, et je fréquentai en place le quartier des ménages ou les environs, dans l’espoir de rencontrer Dinah. Si je la rencontrais ? Oh ! mon passé, à chaque fois j’avais dans la gorge un nœud aussi gros que mon paquetage, et mon cœur allait comme un samedi matin la forge d’un maréchal ferrant ! Cela se bornait pendant une semaine ou deux à des « Bonjour à vous, mademoiselle Dinah » et « Bon-