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reste que criait le poulailler, me répondit le guerrier, en laçant soigneusement ses bottes. Est-ce que je ne vous ai pas parlé du théâtre Silver à Dublin quand j’étais plus jeune et grand amateur de drames ? Ce vieux Silver n’a jamais payé à aucun acteur, ni homme ni femme, son dû réel, et en conséquence il arrivait que ses troupes flanchaient à la dernière minute. Alors les gars réclamaient à grands cris pour tenir un rôle, et plus d’une fois ce vieux Silver leur a fait payer la rigolade. Parole, j’ai vu jouer Hamlet avec un œil au beurre noir tout frais, et la Reine pleine comme une corne d’abondance. Une fois je me rappelle que Hogin, qui s’est engagé dans le Tyrone Noir et s’est fait tuer en Afrique australe, a persuadé à Silver de lui donner le rôle d’Hamlet à lui plutôt qu’à moi, qui avais beaucoup de goût pour la rhétorique en ce temps-là. Comme de juste je m’en allai au poulailler et me mis à envoyer sur la scène les chapeaux de mes voisins, et je dis son fait à Hogin qui se baladait en Danemark telle une mule paralysée portant des reliques sur son dos. « Hamlet, que je lui disais, il y a un trou à ton talon. Relève tes bas, Hamlet, que je disais. Hamlet, Hamlet, par respect pour les convenances, dépose ce crâne et relève tes bas. » Toute la salle se mit à lui répéter ça. Il s’arrêta au beau milieu de son monologue. « Je ne sais pas si mes bas tombent ou non, qu’il dit, en fixant l’œil dans le poulailler, car il savait bien que c’était moi ; mais quand la pièce sera finie, le Spectre et moi nous te défoncerons la paillasse, Térence, avec ton braiement de baudet. » Et