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sieur ; et comment se fait-il que vous soyez avec le parti perdant aujourd’hui que nous vous avons fait prisonnier ?

— L’armée Sud est victorieuse sur toute la ligne, répondis-je.

— Alors cette ligne-là est la corde du bourreau, sauf votre respect. Vous apprendrez demain que nous avons battu en retraite pour l’attirer plus avant afin de lui causer de l’ennui, et c’est là ce que font les femmes. À ce propos, nous allons être attaqués avant l’aube, et vous feriez mieux de ne pas retirer vos bottes. Comment je le sais ? Par la simple lumière de la raison. Nous sommes ici trois compagnies de notre armée qui avons déjà pénétré fort avant dans le flanc de l’ennemi, et il y a une foule de cavalerie qui est partie à grand fracas, bride abattue et braillant, à seule fin de débusquer toute la nichée. Comme de juste, l’ennemi va probablement continuer par brigades, et alors il nous faudra déguerpir. Notez mes paroles. Je suis de l’avis de Polonius quand il disait : « Ne vous battez pas avec le premier manant venu pour le seul plaisir de vous battre ; mais si vous vous battez quand même, crevez-lui la figure d’abord et tout de suite ! » Nous aurions dû marcher de l’avant et secourir les Gourkhas.

— Mais d’où connaissez-vous Polonius ? demandai-je.

C’était pour moi une nouvelle face de la personnalité de Mulvaney.

— Je connais ce que Shakespeare a écrit, et le