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le palanquin. « Portons-le, que disait l’un. — Mais qui nous paiera ? que dit un autre. — Le ministre de la maharanie[1], comme de juste, que répond le premier. — Aga ! que je me dis en moi-même. Je suis une reine indépendante, et j’ai un ministre pour payer mes dépenses. Si je reste tranquille encore longtemps je vais devenir empereur. Mais ce n’est pas dans un village que j’ai échoué. » Sans faire de bruit, je collai mon œil droit à une fissure des volets, et je vis que toute la rue était bourrée de palanquins et de chevaux et d’une flopée de prêtres nus, tout poudrés de jaune et ornés de queues de tigres. Mais je peux bien te le dire, Ortheris, et à toi aussi, Learoyd, de tous les palanquins le nôtre était le plus magnifiquement impérial. Or dans tout l’univers un palanquin signifie une grande dame indigène, sauf quand par hasard c’est un soldat de la Reine qui le monte. « Des femmes et des prêtres ! que je me dis. Pour cette fois, Térence, le fils de ton père est bien placé. On va voir la représentation. » Six diables noirs en mousseline rose enlevèrent le palanquin, mais zut ! voilà-t-il pas que le roulis et le tangage me barbouillaient le cœur. Alors nous fûmes coincés au beau milieu des palanquins… il n’y en avait guère plus de cinquante… et nous nous râclions et nous entrechoquions comme des caboteurs de pommes de terre de Queenstown dans une marée montante. J’entendais les femmes piauler et jacasser dans leurs palanquins, mais le mien

  1. Reine.