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frontière, et ses amis l’appelaient Georgie Porgie à cause de la façon singulièrement birmane dont il chantait une chanson dont les premiers mots ressemblent plus ou moins à « Georgie Porgie ». La plupart des gens qui ont été en Birmanie reconnaîtront cette chanson. Elle veut dire : « Peuf, peuf, peuf, peuf, grand bateau à vapeur ! » Georgie Porgie la chantait en s’accompagnant sur son banjo, et ses amis en poussaient des cris de joie, si bien qu’on pouvait les entendre de loin dans la forêt de tecks.

Quand il alla en Birmanie Supérieure il n’avait aucune considération spéciale pour homme ni Dieu, mais savait l’art de se faire respecter et d’accomplir les devoirs mixtes civils-militaires qui incombaient à la plupart des hommes en ces quelques mois-là. Il faisait son travail de bureau et recevait, de temps à autre, les détachements de soldats minés de fièvre qui se fourvoyaient dans sa partie du monde à la recherche d’une bande de dacoits en fuite. Parfois il faisait une sortie et rossait les dacoits pour son propre compte, car le feu couvait encore dans le pays et risquait de se rallumer à l’improviste. Il goûtait ces charivaris, mais les dacoits s’en amusaient beaucoup moins. Tous les fonctionnaires qui entraient en relation avec lui s’en allaient avec l’idée que Georgie Porgie était quelqu’un de valeur, fort capable de se débrouiller par lui-même, et, sur cette persuasion, on le laissait à sa propre initiative.

Au bout de quelques mois la solitude finit par lui peser, et il chercha autour de lui de la compagnie