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c’est pour cela que Mulvaney a passé dans notre régiment.

— Je voudrais qu’il fût de retour, dit le colonel ; car je l’aime bien et je crois qu’il m’aime bien aussi.

Ce soir-là, pour réjouir nos âmes, Learoyd, Ortheris et moi nous allâmes sur la lande enfumer un porc-épic. Tous les chiens étaient là, mais leur hourvari lui-même (et dès avant de quitter le cantonnement ils s’étaient mis à discuter le triste sort des porcs-épics) fut incapable de nous tirer de notre préoccupation. La lune, large et basse, argentait les sommités de l’herbe-à-panache, et donnait aux buissons rabougris d’épine-à-chameau et aux amers tamaris l’apparence d’une assemblée de démons. L’odeur du soleil n’avait pas encore quitté la terre, et de vagues petits zéphirs en passant sur les roseraies du sud, nous apportaient un parfum de roses sèches et d’eau. Notre feu une fois pris, et les biens convenablement disposés pour attendre la ruée du porc-épic, nous grimpâmes au haut d’un monticule de terre raviné par les pluies, et contemplâmes l’étendue de la brousse, striée de sentes à bestiaux, blanchie d’herbe longue, et parsemée des ronds de fonds d’étangs à sec, où les bécasses se rassemblent l’hiver.

— Ça, dit Ortheris avec un soupir, en parcourant la farouche désolation du paysage, ça c’est un sacré pays. Un pays sacrément pas ordinaire. Une espèce de pays fou. C’est comme une grille où le feu est remplacé par le soleil. (Il s’abrita les yeux du clair de lune.) Et il y en a un qui danse tout seul au mi-