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justice au colonel, il ne fit que rire de cette idée-là, même quand elle lui fut présentée par son très fidèle adjudant-major.

— Mulvaney penserait autant à déserter que vous, lui répondit-il. Non ; ou bien il s’est attiré une vilaine affaire avec les paysans… et encore ce n’est pas vraisemblable, car ce blagueur-là se dépêtrerait du fin fond de l’enfer ; ou bien il est retenu par d’urgentes affaires privées… quelque stupéfiante équipée dont nous entendrons parler au mess après qu’elle aura fait le tour des chambrées. Le plus malheureux de tout, c’est que je vais devoir lui flanquer vingt-huit jours de boîte au moins pour absence illégale, et cela au moment précis où j’ai le plus besoin de lui pour dégrossir la nouvelle fournée de recrues. Je n’ai jamais vu personne capable de donner un vernis aux jeunes soldats aussi vite que Mulvaney. Comment fait-il ?

— Grâce à sa blague, et au bout de son ceinturon où il y a la boucle, mon colonel, répondit l’adjudant. Il vaut une paire de sous-officiers quand nous avons affaire à une classe d’Irlandais, et les gars de Londres semblent l’adorer. Le plus malheureux, c’est que s’il va en prison il n’y aura plus moyen d’être maître des deux autres, jusqu’à ce qu’il en soit ressorti. Je crois qu’en ces occasions-là Ortheris prêche la révolte, et je sais que la simple présence de Learoyd se désolant pour Mulvaney suffit à détruire toute la gaieté de sa chambrée. Les sergents me racontent que quand il se sent malheureux il ne permet plus à personne de rire. C’est une drôle de coterie que ces trois-là.