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du matin au soir. Voilà ce qu’on gagne à être convenable. »

Nous étions un jour loin des casernes, installés ensemble dans l’ombre d’un ravin où il coulait de l’eau par temps de pluie. Derrière nous c’était la jungle de brousse, dans laquelle chacals et paons étaient censés gîter, avec le loup gris du nord-ouest et à l’occasion un tigre fourvoyé hors de l’Inde centrale. Devant nous s’étalait la garnison, d’un blanc éclatant sous un soleil aveuglant, et de chaque côté de laquelle filait la grand’route qui mène à Delhi.

La vue de la brousse me fit comprendre combien Mulvaney avait été sage de prendre un jour de congé et d’aller faire une tournée de chasse. Le paon est un oiseau sacré dans toute l’Inde et quiconque en tue un s’expose à être malmené par les paysans les plus proches ; mais lors de sa dernière sortie Mulvaney avait réussi, sans le moins du monde offenser les susceptibilités des religions locales, à revenir avec six belles peaux de paons qu’il vendit un bon prix. Cet exploit nous semblait alors très réalisable.

— Mais à quoi ça me servirait-il d’y aller sans boire un coup ? Le terrain est sec et en marchant la poussière vous entre dans la gorge à vous tuer, geignait Mulvaney, en me regardant avec amertume. Et un paon n’est pas de ces oiseaux qu’on peut attraper par la queue sans courir. Est-ce qu’on peut courir en ne buvant que de l’eau… et de l’eau de jungle, encore ?

Ortheris avait envisagé la question sous toutes