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distance et qui n’est plus qu’un vagissement plaintif, et sourd grondement de tonnerre lointain. Dans la cour de la mosquée le portier, qui était couché en travers du seuil du minaret lorsque je suis monté, sursaute éperdument dans son sommeil, projette ses mains par-dessus sa tête, marmotte quelque chose, et retombe endormi. Incité par le ronflement des vautours — qui ronflent comme des humains pléthoriques — je tombe dans une pénible somnolence, où je sais que trois heures ont sonné, et qu’il y a dans l’atmosphère une légère — une très légère — fraîcheur. La cité est maintenant absolument tranquille, à part quelque chanson d’amour d’un chien vagabond. Plus rien qu’un lourd sommeil de mort.

Des semaines de ténèbres, semble-t-il, ont passé depuis lors. Car la lune a disparu. Les chiens eux-mêmes se taisent, et avant de m’en retourner chez moi je guette la première lueur de l’aube. À nouveau le bruit de pas traînants. L’appel à la prière du matin va commencer, et ma nuit de veille est terminée. « Allah ho Akbar ! Allah ho Akbar ! » Comme à l’appel du muezzin l’Orient devient gris, et bientôt safran ; le vent de l’aurore se lève ; et tel un homme, la Cité de l’Épouvantable Nuit se lève de son lit et tourne sa face vers le jour qui pointe. Avec le retour de la vie vient le retour du bruit. D’abord un murmure léger, puis une basse grave et bourdonnante. Car il faut se rappeler que la cité entière est sur les terrasses des toits. Les paupières appesanties par de longs arriérés de sommeil, je