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graphe. Un petit nuage passe sur la face de la lune, et la ville avec ses habitants — tout à l’heure profilés net en noir et blanc — s’évanouissent, remplacés par des masses de noir de plus en plus profond. Mais le bruit d’insomnie continue, soupir d’une grande cité accablée par la chaleur, et d’une population qui cherche en vain le repos. Ce sont les femmes de la basse classe seules qui dorment sur les maisons. Quel doit être le tourment dans les zénanas à persiennes, où plusieurs lampes veillent perpétuellement ! Il y a des bruits de pas dans la cour au-dessous. C’est le muezzin — fidèle à son devoir ; mais voilà une heure qu’il devrait être ici pour rappeler aux croyants que la prière vaut mieux que le sommeil — ce sommeil que ne connaîtra pas la cité.

Le muezzin s’arrête un instant à la porte de l’un des minarets, disparaît une minute, et un mugissement de taureau — une magnifique basse tonitruante — nous avertit qu’il est arrivé au haut du minaret. On doit entendre l’appel jusqu’aux rives de la Ravee aux maigres eaux ! Même d’un côté à l’autre de la cour on en est presque assourdi. Le nuage s’éloigne et montre le muezzin silhouetté en noir sur le ciel, les mains aux oreilles, et sa large poitrine ondulant sous le jeu de ses poumons : « Allah ho Akbar » ; puis une pause tandis qu’un autre muezzin quelque part du côté du temple Doré reprend l’appel : « Allah ho Akbar. » Encore et encore, quatre fois en tout ; et, quittant les couchettes, une douzaine d’hommes se sont levés déjà. « Je suis