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meur, qui ne s’en émeut pas. Il est près de minuit, et la chaleur paraît augmenter. Devant la mosquée la place découverte est bondée de cadavres ; et il faut faire attention à ne pas marcher dessus en passant. Le clair de lune barre de larges stries diagonales la haute façade de la mosquée en émaux de couleur ; et chacun des pigeons qui rêvent dans les niches et les renfoncements de la maçonnerie projette une petite ombre. Des fantômes en leur linceul se lèvent languissamment de leurs couches et se faufilent dans les sombres profondeurs du monument. Est-il possible de monter au haut des grands minarets, pour jeter de là un coup d’œil sur la cité ? Cela vaut en tout cas la peine d’essayer, il y a des chances pour que la porte de l’escalier ne soit pas fermée à clef. Elle ne l’est pas ; mais un portier profondément endormi est couché en travers du seuil, la figure tournée vers la lune. Un rat jaillit de son turban au bruit de mes pas qui s’approchent. L’homme pousse un grognement, ouvre les yeux un instant, se retourne et se rendort. Toute la chaleur farouche de dix étés indiens est emmagasinée dans cette noirceur de four entre les murs polis de l’escalier en tire-bouchon. À mi-chemin de la montée il y a quelque chose de vivant, chaud et garni de plumes, et qui ronfle. Chassé de marche en marche à mesure que j’avance, cela s’ébroue arrivé au haut et je vois que c’est un vautour aux yeux jaunes, en colère. Des douzaines de vautours sont endormis sur ce minaret-ci et sur les autres, et sur les coupoles au-dessous. À cette altitude il y a une ombre