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de temps à autre pour poser leurs mufles épais contre les volets clos d’une boutique de marchand de grain et souffler dessus comme des phoques.

Puis c’est le silence — un silence plein des bruits nocturnes d’une grande cité. Un instrument à cordes d’une nature indéfinie est à peine, et rien qu’à peine perceptible. Haut en l’air quelqu’un ouvre brusquement une fenêtre, et le choc du châssis se répercute au loin de la rue vide. Sur l’un des toits un houka est en pleine combustion ; et les fumeurs causent à mi-voix tandis que la pipe gargouille. Un peu plus loin le bruit d’une conversation plus distincte. Une raie de lumière paraît entre les volets à coulisse d’une boutique. À l’intérieur, un marchand à barbe en chaume, aux yeux langoureux, promène ses livres de compte parmi les ballots de cotonnades imprimées qui l’environnent. Trois personnes drapées lui tiennent compagnie, et lui lancent une observation de temps à autre. D’abord il note un chiffre, puis fait une remarque, puis se passe le revers de la main sur son front ruisselant. Dans la rue entre les maisons la chaleur est formidable. À l’intérieur des boutiques elle doit être quasi intolérable. Mais la besogne continue obstinément ; un chiffre, un grognement guttural et le revers de main au front se succèdent avec la régularité d’un mouvement d’horlogerie.

Un agent de police — sans turban et profondément endormi — est couché en travers de la route qui mène à la mosquée de Wazir Khan. Un rai de clair de lune tombe sur le front et les yeux du dor-