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derrière en tirant la langue très avant. L’herbe nous entourait de toutes parts, et il était impossible d’y voir à deux mètres dans n’importe quelle direction. Les tiges d’herbe retenaient la chaleur exactement comme des tubes de chaudière.

Au bout d’une demi-heure, comme j’en étais à me repentir sérieusement de n’avoir pas laissé la paix au gros sanglier, j’arrivai à un étroit sentier qui semblait être un compromis entre une pied-sente indigène et une foulée de sanglier. Elle avait à peine vingt centimètres de largeur, mais en me mettant de côté je pouvais le suivre avec aisance. L’herbe était excessivement épaisse dans ces parages, et là où le sentier n’était pas bien tracé il devenait nécessaire d’écarter le hallier soit avec les deux mains devant la figure, ou d’y entrer de dos, gardant les deux mains libres pour tenir le fusil. Malgré tout c’était un sentier, et précieux parce qu’il conduisait sans doute quelque part.

Au bout d’environ cinquante mètres de chemin facile, juste alors que je m’apprêtais à m’enfoncer de dos en une touffe particulièrement dense, je ne vis plus maître Wardle, qui est un chien singulièrement frivole pour sa race et ne consent jamais à suivre. Je l’appelai par trois fois et prononçai à haute voix : « Où est-il passé, ce petit animal ? » Et la surprise me fit reculer de plusieurs pas en arrière, car presque sous mes pieds une voix grave répétait : « Où est-il passé, ce petit animal ? » Pour bien apprécier l’effet d’une voix invisible il n’est rien de tel que de l’entendre quand on est perdu