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raient les larmes faciles de la vieillesse tant et si bien qu’à force de pleurer ils s’endormaient.

Une semaine plus tard Éphraïm, trébuchant sous un énorme ballot de vêtements et d’ustensiles de ménage, emmenait le vieux et la vieille à la gare, où le tumulte et la confusion les firent pleurnicher.

Ce fut là que je rencontrai pour la dernière fois Éphraïm.

— Nous allons retourner à Calcutta, me dit celui-ci, tandis qu’Esther s’accrochait à sa manche. Nous sommes plus nombreux là-bas, et ici ma maison est vide.

Il aida Esther à monter en wagon, et se retournant vers moi, me dit :

— J’aurais été prêtre de la synagogue si nous avions été dix. Sûrement il faut que notre Dieu nous ait oubliés.

Le train sortit de la gare, emportant vers le Sud le dernier reste de la colonie détruite ; cependant qu’un lieutenant qui feuilletait les livres de la bibliothèque, sifflait pour lui-même : Les Dix petits Négrillons.

Mais cet air gai me parut aussi solennel que la Marche Funèbre.

C’était le chant mortuaire des Juifs de Sheshuan.