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poussière provoquée par le passage incessant des bêtes allant boire à la rivière. Dans la soirée les enfants de la cité venaient au terrain vague faire voler leurs cerfs-volants, et les fils d’Éphraïm se tenaient à l’écart, regardant le jeu du haut du toit, mais sans jamais descendre pour y participer. Sur le derrière de la maison se dressait un petit appentis de brique dans lequel Éphraïm préparait pour son peuple la viande de chaque jour conformément aux rites judaïques. Il advint une fois que la porte grossière de la cour fut brusquement défoncée par une lutte qui se livrait à l’intérieur, et s’ouvrit laissant voir le doux receveur de traites à la besogne, les narines dilatées, les lèvres retroussées sur ses gencives, et les mains sur une brebis à demi affolée. Il était accoutré d’un vêtement étrange, sans analogie aucune avec les habits en toile à torchon ou les chaussons de lisière, et il avait un couteau entre les dents. Tout en se débattant entre les murs avec l’animal, sa respiration s’entrecoupait de sanglots spasmodiques, et il semblait un autre homme. Le sacrifice rituel terminé, il s’aperçut que la porte était ouverte, et s’empressa de la refermer ; sa main laissa sur l’huis une marque rouge, tandis que ses enfants du haut de la maison voisine le regardaient terrifiés et les yeux dilatés. Contempler Éphraïm dans l’une de ses fonctions religieuses n’était pas un spectacle que l’on désirât revoir deux fois.

L’été vint sur Sheshuan, durcissant comme fer le sol du terrain vague, et apportant à la cité la maladie.