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Éphraïm portait des chaussons de lisière et des habits en étoffe à torchons, d’une coupe ridicule, à faire reculer d’effroi le plus éhonté des sous-officiers britanniques. Très posé et réfléchi était son langage et il se gardait soigneusement de porter offense à personne. Au bout de quelques semaines, Éphraïm en vint à me parler de ses amis.

— Nous sommes huit à Shushan, et nous attendons d’être dix. Alors nous ferons une demande pour avoir une synagogue, et demanderons l’autorisation à Calcutta. Aujourd’hui nous n’avons pas de synagogue ; et c’est moi, moi seul, qui suis prêtre et boucher pour notre peuple. Je suis de la tribu de Juda… je pense, mais je n’en suis pas sûr. Mon père était de la tribu de Juda, et nous désirons fort avoir notre synagogue. Je serai prêtre de cette synagogue.

Sheshuan est une grande ville du nord de l’Inde, qui compte plus de dix mille habitants, et ces huit du Peuple Élu, claquemurés en son milieu, attendaient que le temps ou le hasard vînt compléter leur congrégation.

Myrriam, femme d’Éphraïm, deux petits enfants, un jeune orphelin de leur race, l’oncle d’Éphraïm, Jackraël Israël, vieillard à cheveux blancs, sa femme Esther, une juive de Kutch, un certain Hayem Benjamin, et Éphraïm, prêtre et boucher, constituaient la liste des Juifs de Sheshuan. Ils vivaient dans une maison, sur les confins de la grande ville, parmi des monceaux de salpêtre, de briques cassées, des troupeaux de vaches, et une colonne permanente de