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prince de bonne race, et j’ai faim. — Prince des mendiants vagabonds, dit ce prêteur, je n’ai pas d’argent sur moi, mais va-t’en à ma maison avec mon employé et il te donnera deux roupies huit annas, car c’est tout ce que je te prêterai. » J’allai donc à la maison avec l’employé, et nous causâmes en chemin, et il me donna l’argent. Nous vécûmes sur cette somme jusqu’à son épuisement, et nous faisions maigre chère. Et alors cet employé me dit, car c’était un jeune homme de bon cœur : « Sûrement l’usurier te prêtera davantage sur ce lihaf. » Et il m’offrit deux roupies. Je les refusai, en disant : « Non, mais procure-moi du travail. » Et il me procura du travail, et moi, oui moi, Abdur Rahman, Émir d’Afghanistan, je peinai des jours comme coolie, transportant des fardeaux, et travaillant de mes mains, recevant quatre annas de salaire par jour pour ma sueur et ma courbature. Mais lui, ce bâtard, fils de rien, il faut qu’il vole ! Pendant un an et quatre mois j’ai travaillé, et que nul n’ose dire le contraire, car j’ai un témoin, ce même employé qui est aujourd’hui mon ami.

Alors se leva de sa place parmi les sirdars[1] et les nobles un personnage vêtu de soie, qui joignit les mains et dit :

— Ceci est la vérité de Dieu, car moi qui par la grâce de Dieu et de l’Émir, suis tel que vous me connaissez, je fus jadis employé de cet usurier ; Il y eut un silence, et l’Émir interpella le prison-

  1. Gouverneurs.