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Et ces hommes, Son Altesse les gouverne par la seule arme qu’ils puissent concevoir — la crainte de la mort, qui chez des Orientaux est le commencement de la sagesse. Quelques-uns disent que l’autorité de l’Émir ne s’étend pas plus loin que ne porte une balle de fusil ; mais comme aucun d’eux ne sait jamais au juste à quel moment leur roi peut surgir au milieu d’eux, et que lui seul tient tous les fils du gouvernement, le respect de sa personne en est accru parmi les hommes. Gholam Haïder, le général en chef de l’armée afghane, est craint raisonnablement, car il a le pouvoir d’empaler ; toute la ville de Caboul craint le gouverneur de Caboul, qui a le droit de vie et de mort dans tous les quartiers ; mais l’Émir d’Afghanistan, bien que les tribus lointaines prétendent le contraire quand il a le dos tourné, est redouté plus que le général et le gouverneur réunis. Sa parole est la loi rouge ; au souffle de sa colère tombe la feuille de la vie humaine, et sa faveur est terrible. Il a souffert mille maux et a été un fugitif traqué avant son avènement au trône, et il comprend toutes les classes de son peuple. D’après les coutumes de l’Orient, tout homme ou femme ayant une réclamation à faire, ou à demander vengeance d’un ennemi, a le droit de parler face à face avec le roi à l’audience publique de chaque jour. C’est là le gouvernement personnel, tel qu’il était aux jours d’Haroun al Raschid d’heureuse mémoire, dont les temps subsistent encore et subsisteront longtemps après que les Anglais auront disparu.