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plus. Alors, par la grâce de Dieu, les histoires se vendent et me rapportent de l’argent qui me permet de vivre.

— Ainsi soit-il, dit Gobind. C’est ce que fait le conteur du bazar ; mais lui parle directement aux hommes et aux femmes et il n’écrit rien du tout. Seulement, quand l’histoire a mis ses auditeurs en suspens et que les catastrophes sont sur le point de survenir aux vertueux, il s’arrête tout d’un coup et réclame son salaire avant de continuer son récit. En va-t-il de même dans ton métier, mon fils ?

— J’ai entendu dire que cela se passe à peu près ainsi quand une histoire est de grande longueur et qu’on la débite comme un concombre, par petites tranches.

— Moi, j’étais jadis un conteur renommé, quand je mendiais sur la route entre Koshin et Etra ; avant le dernier pèlerinage que j’aie fait à Orissa. Je racontais beaucoup d’histoires et j’en entendais encore plus aux gîtes d’étape le soir quand nous nous réjouissions après la journée de marche. Je suis persuadé qu’en matière d’histoires, les hommes faits sont tout pareils à des petits enfants, et que la plus vieille histoire est celle qu’ils aiment le mieux.

— Pour ton peuple, c’est la vérité, dis-je. Mais en ce qui regarde mes compatriotes ils veulent de nouvelles histoires, et quand tout est écrit ils s’insurgent et protestent que l’histoire aurait été mieux racontée de telle et telle façon, et ils demandent si elle est vraie ou bien si c’est une invention.

— Mais quelle folie est la leur ! fit Gobind, en