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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

semblables aux Zoulous de notre temps — combattant contre leurs voisins, et adorant « Peroon, le Dieu de la Foudre » dont l’horrible idole les observait, ce jour de bataille, du plus haut point de la colline.

De nouveau, l’énorme Tartare lança son insultant défi ; mais, braves comme les Russes étaient alors, personne n’y répondit et la confusion et la consternation furent visibles dans leurs rangs.

C’était une armée bien différente de celles de nos jours. Il n’y avait ni bayonnettes étincelantes, ni sabres luisants, ni casques dorés, ni cuirasses d’acier brillant ; pas d’uniformes verts gallonnés d’or et d’argent, pas de capotes grises en ratine, pas de roulement sourd de l’artillerie, pas de chevaux se cabrant et point de revue du Tzar devant le pilier de granit de la Cathédrale d’Isaac à St-Pétersbourg ! Les soldats du Xe siècle, armés de lances, de courtes épées, de haches, d’arcs et de flèches, étaient des êtres chevelus, au regard sauvage, presque nus et bien membrés, coiffés d’un casque d’acier uni et revêtus de peaux d’ours où étaient attachées des languettes de fer.

Bien qu’ils fussent étranges, ceux qu’ils allaient combattre étaient bien plus étranges encore. Les Tartares, avec leurs têtes rondes comme des billes, leurs yeux petits et louches et leurs courtes figures, ne ressemblaient guère aux hommes mais bien aux singes. Ils avaient des bras d’une telle longueur, que leurs mains atteignaient leurs genoux sans qu’ils se penchassent. Ils étaient revêtus de peaux de mouton ou de cuir de cheval. Au surplus, ils possédaient un nez épaté et une grande barbe qui pendait sous une figure verte-brune. On aurait cru qu’une armée d’ours faisait face à une armée de singes.

Vis à vis de son camp, le Tartare riait d’un rire insultant tout en faisant tournoyer au dessus de sa tête, une massue noueuse qu’il tenait dans son immense main brune où l’on voyait de gros muscles ressortir comme les replis d’une corde.

Mais ce n’était ni sa puissance, ni sa grandeur qui intimidaient les Russes. Ce qu’ils craignaient c’était l’art magique qu’on attribuait à certains hommes de cette race, art qui leur donnait une force irrésistible et qui rendait leur peau si dure que la lance où l’épée ne pouvait la percer. Les Russes considéraient ce géant comme possédant ce pouvoir et, sachant que s’il était vaincu, le Tartare recourrait à ses magies, il n’y avait aucune surprise de les voir fuir un combat qui leur apporterait la ruine, non seulement à eux-mêmes, mais à toute la Russie.

— Quoi ! auriez-vous tous peur ? cria une seconde fois le géant. Personne n’ose m’affronter ?