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UNE AVENTURE TÉMÉRAIRE

grêle tellement épaisse de flèches, que les Russes, quoique soigneusement à l’abri, perdaient beaucoup d’hommes chaque jour, perte qui affaiblissait énormément leurs maigres troupes.

Sviatagor et Sylvestre furent infatigables et ranimèrent les esprits déprimés qui faisaient face à ces moments pénibles aussi bravement que possible, mais ni leur courage, ni les efforts désespérés de leurs chefs ne pouvaient les mettre à l’abri de la lente et glaciale horreur qui les hantait tous, bien que personne n’osait y donner cours — la crainte de la famine.

Ce n’était pas en vain, vraiment. L’eau qu’ils avaient en abondance se puisait dans les citernes spéciales de la ville : mais la nourriture commençait déjà à faire défaut, car la fuite des villageois, qui avaient cherché un refuge à Kief, devant l’armée ennemie, donnaient à la garnison beaucoup de bouches additionnelles à nourrir au moment où, par malheur, les secours manquaient.

La nécessité de réduire la ration journalière (qui avait déjà été diminuée de moitié) troublait fortement Sviatagor qui savait bien que ses soldats — capables pour l’instant de renverser les Tartares — ne pourraient plus tenir lorsque les vivres manqueraient. Mais l’intelligence de Sylvestre prévoyait un autre danger plus immédiat. Il se doutait qu’Octaï Khan, qui était habile dans les différents genres de combat, assemblerait quelques-uns de ses chariots en forme de rude hangar ou d’appentis, à l’abri duquel un corps ennemi, avançant vers les remparts, serait complètement protégé contre les flèches et les pierres lancées du haut de l’enceinte, et arriverait au mur pour le saper ou y enfoncer une porte.

Le moine prévoyant ce péril, prit des mesures contre lui. Il ne perdit point de temps et envoya chercher quelques charpentiers et forgerons, les meilleurs que l’on puisse trouver en ville et il eut avec eux une conversation qui les étonna grandement.

Il fut bientôt raconté partout que le père Sylvestre avait inventé une machine qui détruirait toute l’armée tartare en une fois, et une foule ardente vint s’attrouper sur la place où les ouvriers commençaient leur travail. Mais tout ce qu’elle vit, ce fut un amas confus de bûches et de barres de fer dont les travailleurs eux-mêmes ne pouvaient en expliquer l’usage.

Le lendemain matin les craintes de Sylvestre s’étaient pleinement réalisées. Le regard perçant de Cyril distingua au milieu du camp tartare plusieurs chariots attachés ensemble et autour desquels une troupe d’hommes circulaient sans cesse. C’était maintenant une lutte ingénieuse et originale : qui serait prêt le premier de l’appentis tartare ou