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TRAHISON

Sylvestre s’arrêta, car il avait eu la même pensée déjà. La tête tondue, le menton imberbe et le front étroit (qui donnaient à la maigre figure d’Ostap une hideuse ressemblance à un crâne décharné) lui étaient inconnus. Mais il y avait parfois un regard particulier des yeux profonds de l’homme, et un ton particulier de sa rude voix qui impressionnait le moine d’un sens vague et embrouillé de reconnaissance,

— « Je suis certain de l’avoir rencontré jadis, » répondit-il, « quoique je ne puisse dire où ni comment. Mais il serait inutile d’agir contre lui, tant que nous n’ayons pas une preuve de sa traitrise, et nous le surveillerons nuit et jour de façon à obtenir cette preuve. Souviens-toi que j’ai pleine confiance en ton dévouement. »

— « Vous avez bien raison, père ; je ne faillirai pas si vous vous appuyez sur moi. »

Et ils partirent, Cyril allant aux remparts surveiller les mouvements de l’ennemi, et Sylvestre en ville pour délibérer avec Sviatagor.

Passant contre le côté intérieur des murailles de Kief, le moine glissa soudain et tomba à la renverse de tout son long. À l’instant même une énorme pierre arriva du parapet et s’abattit dans un sourd craquement à l’endroit même où Sylvestre avait fait ce faux pas.

Le moine leva vite les yeux, mais ne vit personne. Il était clair, toutefois, à la force dont la pierre s’écrasa sur le sol, qu’elle n’y était pas tombée d’elle-même, mais qu’elle y avait été lancée, vers le moine dans un but avisé ; et Sylvestre devina aisément qui s’était rendu capable de cette lâche attaque.

— « Un être qui veut faire massacrer une ville entière, » médita-t-il, « ne reculera pas devant un meurtre, surtout s’il croit que ma mort simplifierait son ouvrage. Puis-je laisser voir que je le soupçonne ? Non, non, j’y prendrai garde. »

Quelques minutes plus tard il était en conversation avec Sviatagor ; mais le moine ne lui raconta pas sa dernière aventure, et une personne plus observatrice que le vieux guerrier n’aurait pu découvrir dans les traits calmes et la voix ordinaire de Sylvestre qu’il venait d’échapper à la mort, de l’épaisseur d’un cheveu.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux nuits après, tout Kief était dans la hâte d’une préparation rapide et silencieuse. Ostap — le fidèle Ostap — avait expliqué aux Russes qu’ils pouvaient surprendre, à minuit, en sortant par la porte donnant sur le fleuve, une partie négligemment gardée du camp ennemi et couper, si possible, l’armée tartare.