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TRAHISON

Sviatagor n’attendit pas longtemps. Trois heures plus tard il fut éveillé en sursaut par un garde qui lui annonça que l’homme sauvé désirait lui parler, et le vieux chef partit priant Féodor de veiller à tout pendant son absence.

Sur ces entrefaites, Sylvestre cessant un lourd sommeil qui lui était bien mérité depuis deux jours et deux nuits de veille constante, écouta non sans intérêt, l’histoire de l’aventure nocturne, racontée par une demi-douzaine de soldats, joyeux de la fuite de leur concitoyen et du désappointement que devaient éprouver leurs ennemis. Mais lorsque le groupe des soldats se fut dispersé, Cyril arrivant près du moine, lui murmura :

— « Père, il y a quelque piège dans ceci, j’en suis sûr. »

— « Pourquoi penses-tu ainsi, mon fils ? » demanda Sylvestre, tressaillant d’entendre son jeune ami formuler la même pensée qui le harcelait.

— Parce que je connais les Petcheneygans ; nous avons fêté avec eux ou nous les avons combattus, et je sais qu’aucun prisonnier dont ils attendent un tel service ne s’échapperait de leurs doigts comme cet homme prétend l’avoir fait. Puis, en somme, s’il a été réellement torturé comme ils les torturent, il n’aurait pas été capable de se soulever sur le sol et encore moins de grimper à une corde. »

— « Mais n’a-t-on pas vu des cicatrices sur sa poitrine ? »

— « Les cicatrices se ressemblent toutes à la lueur des torches, père ; mais si vous les regardiez au grand jour, je gage qu’elles vous sembleraient vieilles. »

Sylvestre réfléchit ; mais avant de répondre, le vieux Sviatagor arriva vers eux, la mine radieuse.

— « Bonne nouvelle, père, » dit-il. « Ostap — cet homme qui s’est échappé du camp tartare la nuit passée, vous savez — m’a raconté qu’avant de se sauver, il a entendu, sans être aperçu, le chef des Tartares établir le plan d’attaque de la ville : ils se lanceront sur la porte occidentale et nous les y attendrons, n’est-ce pas ? »

Cyril et le moine échangèrent un regard significatif ; mais le vieux chef sans s’en apercevoir commença à détailler son plan pour repousser l’ennemi, après quoi il s’en alla, toujours souriant.

L’enfant tartare sembla questionner des yeux Sylvestre qui répondit sérieusement :

— « Mon fils, nous ne dirons rien de nos soupçons, quant à présent. Cette nuit nous démontrera si cet Ostap a dit la vérité ».