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ASSIÉGÉS

— « Je vous dirai plus encore », continua le moine, « ces têtes pendues à vos brides ne sont pas les têtes des guerriers de Vladimir, mais celles des pauvres paysans que vous avez massacrés dans votre marche. Si vous avez vraiment tué le grand Prince, montrez-nous sa tête, et nous vous croirons ».

À cette embarrassante question, les soldats russes rirent aux éclats ; mais le chef tartare (qui s’était remis de sa première frayeur) voulut faire un dernier effort.

— « La tête de Vladimir », répondit-il, « pend au bout d’une lance devant la demeure de notre Khan dans la plaine de Volhynie, mais vous pouvez voir son casque, là, sur la tête de notre chef ».

— « Vous mentez encore ! » continua Sylvestre, sévèrement. « Ce casque fut pris par Khan dans une bataille, il y a quatre ans, lorsqu’il jura sur le tombeau de son père de ne jamais épargner un Russe, et vous voudriez que nous croyions en sa pitié ! Traîtres et voleurs ! allez-vous en ! »

Chaque parole de son discours (quoiqu’il ne contenait que les faits appris de Cyril) consterna et ébahit les parlementaires, et leurs visages basanés pâlirent aux connaissances apparemment surnaturelles du moine. Ils échangèrent quelques mots dans un chuchotement troublé, et descendirent la colline tellement vite que leur retour fut plutôt une fuite.

— « Vous les avez convenablement traités, père, » dit Sviatagor en riant dans sa longue barbe. « Kief n’est pas à prendre par des paroles fausses ou des mensonges grossiers ; toutefois nous devons nous préparer à un violent combat, car lorsque les « Tâtare » (Tartares) verront qu’ils n’arrivent à rien par des fourberies, ils nous attaqueront comme des loups affamés. »

Cependant, contrairement à l’attente du vieux chef, la journée passa sans un seul mouvement de la part des assiégeants. Mais cela rendit les Russes doublement vigilants, car ils savaient que minuit était le moment favori de leurs ennemis pour attaquer et que les Tartares étaient en assez grand nombre pour faire l’assaut de la ville à plusieurs endroits à la fois, à la faveur de l’obscurité.

La garnison ne dormit pas cette nuit, tous étaient à leurs postes, attendant l’attaque menaçante. Mais les heures s’écoulèrent et rien n’arriva. Enfin, juste comme la première lueur pâle de l’aube se levait à l’horizon, une voix perçante, épuisée, agonisante, se fit entendre au bas des remparts, criant en russe :

— « Au secours, frères ! Sauvez-moi ! »