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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

Lorsqu’ils furent assez près pour entendre et être entendus, Sviatagor, penché sur la muraille, leur cria de s’arrêter et de parler.
Alors le plus grand des quatre parlementaires (certainement un chef de quelque marque) s’avança d’un pas et, brandissant fièrement sa main vers la ville, commença dans un russe baragouiné :

— « Voici les paroles d’Octaï Khan, le grand Prince des Petcheneygans, dont le cheval fait trembler le monde : Rendez-nous la ville paisiblement, vous serez épargnés et vous irez rejoindre vos frères au delà du fleuve. Pourquoi voulez-vous mourir ? Ne voyez-vous pas que nous sommes cent contre un ? »

Il s’arrêta attendant une réplique, mais Sviatagor — bien qu’il écoutait le message avec grande attention — ne dit pas un mot.

Le rusé Tartare supposa que le chef russe examinait sa proposition et voulant augmenter l’impression d’effroi qu’il croyait avoir produite, il continua férocement :

— « Prenez garde, si vous rejetez votre dernière chance de salut. La grâce de Khan est une rosée bienfaisante, mais sa colère est un incendie dévorant. Espérez-vous recevoir du secours de votre Prince Vladimir ? Sachez, alors, qu’il est mort sous les cendres de Kamenskoë et que les têtes de ses guerriers pendent aux brides de nos chevaux ».

— « C’est faux ! » cria Sylvestre de sa voix sereine, en s’avançant de derrière la tourelle, et confrontant le Tartare.

À cette apparition inattendue le sauvage fanfaron recula comme s’il venait d’être transpercé d’une flèche. Il n’avait pas besoin de demander le nom du nouveau venu car depuis longtemps la robe noire, le visage pâle et les yeux intelligents du « grand chrétien enchanté » étaient déjà connus dans toute la Russie méridionale, même de ceux qui ne l’avaient jamais vu, car tout le monde en avait entendu parler.

— « Maintenant, nous ferons bonne figure », murmura un des soldats russes joyeusement. « Ces voleurs trouveront à qui parler lorsqu’ils combattront le père Sylvestre ».

— « Osez-vous nous dire », continua le moine en regardant fixement le Tartare qui tremblait. « que vous avez tué le Prince Vladimir et détruit son armée ? Vous mentez ! Il n’est ni mort ni défait ; vous ne l’avez pas même vu !

En parlant ainsi le moine faisait une rusée conjecture des faits réels dont il ne connaissait rien de certain ; mais la confusion et la frayeur subites des quatre Tartares lui montraient suffisamment qu’il avait deviné juste.