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ASSIÉGÉS

— « Père, » continua Cyril, gravement, nous devons lutter jusqu’à la mort, maintenant, car cet homme n’aura aucune pitié de nous. C’est Octaï Khan, le jeune prince des Petcheneygans, qui a juré sur la tombe de son père de ne jamais épargner un Russe. »

Au crépuscule l’avant-garde Tartare campa devant la ville, et des troupes fraîches ennemies arrivaient constamment. Bien loin, dans la sombre plaine, on pouvait apercevoir de longues et sinueuses traînées de chariots se mouvant lentement et progressivement comme quelque énorme serpent ; et des feux innombrables scintillèrent, comme des étoiles, au pied de la colline, pendant que la brise vespérale apportait une odeur de viande rôtie aux veilleurs russes qui grinçaient des dents à la pensée que les Tartares mangeaient leur propre bétail volé.

Bien qu’on s’attendait à une attaque de nuit, la garnison ne fut pas ennuyée. Octaï Khan, féroce et brutal, avait toute la finesse et la prudence d’un grand général. Il avait entendu parler des nouvelles fortifications de Kief et voulait les observer avant de lancer ses troupes à l’assaut.

Lorsque le jour parut, les Russes virent, de leurs murailles, la plaine remplie de sombres figures entourant la ville. Mais les courageux guerriers de Vladimir regardaient sans crainte s’avancer cette supériorité, et ils répondirent aux cris sauvages de leurs ennemis, en entonnant leur psaume favori qui, chanté par des centaines de voix, s’envola sous la brise matinale, comme un bruit de tonnerre lointain.

« Le Dieu puissant est à mon côté.
        Je ne serai pas découragé ;
Les hommes pourront faire ce qu’ils voudront
        Je ne serai pas effrayé.

Les nations ne formant qu’une
        M’entourent presque ;
Mais au nom de Dieu le Seigneur
        Je les mettrai en déroute ».


Les Tartares connaissaient bien cette mélodie que leurs camarades avaient entendue à leurs dépens dans maintes batailles, et il faut croire qu’elle agit sur eux car le son du cor résonna, non pour commander l’assaut, mais pour demander à parlementer.

— « Ces brutes veulent nous jouer quelques tours », grommela Sviatagor, « mais entendons au moins ce qu’ils vont nous raconter ».

Il ordonna à ses hommes de répondre par une sonnerie similaire, et quelques minutes plus tard, quatre Tartares, sans arc et sans carquois et la lance tournée vers le bas en signe de paix, sortirent de leur camp et montèrent lentement la colline.