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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

vaillamment le sentier sinueux qui conduisait à la plaine, car on sait que Kief était bâtie sur la colline. Sylvestre, du haut du parapet des murailles, regarda la longue ligne des lances étincelantes jusqu’au moment où la dernière clarté s’évanouit dans l’obscurité de la nuit tombante. Puis il se retira, le cœur oppressé et pressentant un malheur qu’il ne connaissait même pas.

Ce présage devait être bientôt terriblement justifié.

Quelque temps avait passé depuis le départ du Prince, et les jours se ressemblaient tellement que Cyril et son ami Féodor commençaient à regretter plus que jamais de n’avoir pas fait partie de l’expédition, lorsqu’un matin, un grand nuage de poussière se fit voir sous le ciel, à l’est, attirant (autant qu’il le pouvait) l’attention des sentinelles placées comme d’habitude le long des remparts de la ville.

D’abord les citadins crurent que c’était le Prince Vladimir et son armée qui revenaient victorieux, et bien vite ils se préparèrent à bien le recevoir. Mais lorsqu’ils réfléchirent un peu, ils virent bien que c’était impossible à Vladimir d’avoir délivré Kamenskoë et de revenir à Kief en si peu de temps ; en effet, il devait avoir seulement atteint maintenant la forteresse. Mais qui, alors, s’approchait ainsi vers la ville ?

La véritable pensée les effrayait, car ils savaient que leur audacieux Prince ne pouvait subir un désastre qui le forcerait à la retraite. Les cris de triomphe moururent et les visages rayonnants devinrent anxieux et sombres.

Sviatagor comme commandant de la garnison, avait paru à la première alarme et se tenait dans un angle des remparts, accompagné de Sylvestre et de Cyril, regardant attentivement ce sombre nuage avancer. Il n’y avait aucun doute, que ce fut causé par une armée en marche, car l’éclat de l’acier brillait à tout instant à travers la poussière, et chaque fois que la brise matinale balayait ce nuage s’élevant vers les cieux, les veilleurs entrevoyaient derrière lui des masses sombres de cavaliers.

Le petit tartare — qui était connu parmi les Russes pour sa vue profonde particulière à la race dont il provenait — darda, quelques minutes et en silence, ses yeux noirs et perçants vers la masse approchante. Puis, comme Sviatagor et Sylvestre, effrayés de l’inquiétude naissante sur la figure expressive du jeune homme, allaient lui demander s’il était indisposé, les lèvres compressées de Cyril s’ouvrirent et laissèrent tomber ces simples paroles :

— « Les Tartares ! »