Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
PRIS DANS LES GLACES

me un capitaine sur son navire qui s’enfonce dans les eaux. Il atteignit difficilement la terre ferme et à peine y était-il arrivé que le champ de glace céda dans un craquement à rendre sourd les auditeurs, et descendit le fleuve en pirouettant.



CHAPITRE VII

Mauvaises Nouvelles

Quelques semaines après la mort de l’ours et le sauvetage de Sylvestre et de son compagnon, le Prince Vladimir donna une fête dans le hall de son palais, à Kief, et y invita ses principaux chefs et ses meilleurs guerriers. C’était un grand honneur d’y être convié, quoique ce banquet semblerait bien étrange aux yeux des civilisés, car les tavernes les plus sales des petites rues de Londres et de New-York sont aussi confortables que la grande salle du roi puissant d’alors.

Il ne manquait certes pas de plats en or et de gobelets en argent, les maintes victoires de Vladimir sur les nations plus raffinées du Sud, l’en avaient pourvu abondamment. Les tables aux planches grossières, entaillées par les couteaux, ressemblaient aux hachoirs des bouchers ; le parquet, qui n’était autre que la terre, était recouvert d’os rongés sur lesquels des chiens aux longs poils se précipitaient avidement. Au milieu de la salle flamboyait un énorme feu de bois de pin dont la fumée, après avoir circulé à travers le hall, s’échappait en partie par les portes et les fenêtres, en partie par les trous du toit, pendant que les étincelles, s’envolant du foyer, tombaient par ondées sur les rudes habits et les cheveux en broussaille des convives dont les cris et les rires bruyants faisaient un vacarme indescriptible.

Dans le coin le plus éloigné de la salle, Vladimir était assis à une table plus haute que les autres, entouré par les chefs dont le rang où les exploits donnaient le droit de se trouver aux côtés du Prince. Comme Sylvestre était rarement présent à de telles fêtes, la place d’honneur à droite de Vladimir était occupée par Féodor. Juste derrière le siège du Prince se tenait un vieux ménestrel aux cheveux blancs (le poète lauréat de cette cour barbare) qui chantait d’une voix sonore, la vieille « Builina » (ballade) du combat d’Alexis Popôvitch contre le géant tartare, Tugârin ; cette chanson était la favorite des guerriers de Kief, non seu-