Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
UN MOMENT DE GRAVE PÉRIL

être le premier des libérateurs du Prince. « Il ne troublera jamais plus les habitants de Volkovo. »

— « Et comme il leur a mangé pas mal de cochons et de chèvres, » dit Vladimir en montrant l’animal tué à ses pieds, « il ne serait pas désagréable qu’ils le mangeassent à leur tour. Portez-le au village et dites aux gens d’en distribuer la viande de façon que chacun ait sa part. »

Mais ils avaient à peine fait la moitié du chemin, portant leur lourd fardeau (leurs muscles de fer ne sentaient pas le poids d’un ours presque aussi gros qu’un cheval), qu’ils furent secoués par un cri sourd et inhumain qui, bien que poussé, évidemment, à une grande distance, fut distinctement entendu par tous les chasseurs.

— « Qu’est-ce que c’est ? » dit un des chefs, s’arrêtant pour mieux écouter.

— « La glace qui se rompt sur le fleuve supérieur, sans doute, » répondit Vladimir, et si jamais quelque animal a essayé de le traverser à ce moment, il sera bien attrapé. »

Au loin sur le fleuve — qui était libéré de sa glace sur une immense longueur — un ruban luisant qui semblait combler toute la largeur du fleuve, descendait à une effrayante vitesse. Comme il avançait brillant et étincelant comme un millier de lances agitées sous la lune rayonnante, des craquements tristes et profonds frappèrent les oreilles des auditeurs.

— « Ah ! » s’écria Féodor, soudainement, « qu’est-ce que c’est que ça, là-bas, sur la glace ? On dirait une hutte ».

— « C’en est une ! » dit un autre chasseur connu pour sa puissante vue ; « et un homme s’y cramponne : il se remue même à ce moment ».

Tout de suite la troupe se précipita vers le fleuve, bien qu’ayant un faible espoir de sauver l’homme abandonné qui semblait déjà condamné à la mort.

Mais à peine avaient-ils atteint la rive, que Vladimir poussa un cri pareil au rugissement d’un lion blessé. L’épave flottante était assez proche, maintenant, pour la distinguer, et le Prince y vit deux êtres qui s’y cramponnaient désespérément, il reconnut Cyril et Sylvestre.

Avant qu’on eût le temps de dire un mot ou de faire un geste, le moment critique arrivait. À la courbure que le fleuve faisait à ce point, la largeur n’était plus aussi grande à cause de deux petits bancs de sable faisant saillie, entre lesquels le champ de glace le plus avancé s’était encastré, pendant que ceux de derrière, entraînés par le courant torrentiel, vinrent s’élever sur le premier dans une vague glacée