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UN MOMENT DE GRAVE PÉRIL

— « Souvent j’ai entendu dire par mon père Sylvestre », dit-il hardiment, « qu’aucun enchantement n’est à l’abri d’une arme qui combat pour une juste cause. Ne parlons pas de charme et de magie alors que les foyers de nos frères sont en danger ; allons et bravons ce monstre, et je suis sûr que nous le vaincrons. »

— « Bien parlé ! » cria Vladimir joyeusement. « Nous irons, qu’il y ait enchantement ou non, et avant que la nuit soit passée, je saurai qui aura le dessus de mon épée ou de la magie de l’ours. Tiens, frère, » ajouta-t-il en prenant un bracelet de son bras et le donnant à l’homme, « prends ceci pour cette bonne nouvelle ; et mène nous maintenant à l’endroit où vit cet animal dangereux. ».

Quelques minutes plus tard ils étaient en marche et malgré la neige profonde et les buissons inextricables, ils arrivèrent à Volkovo (bâtie sur une colline surplombant le fleuve) après la tombée de la nuit.

Les villageois, tout heureux de l’aide qui leur arrivait, accoururent faire bon accueil au prince et le forcèrent ainsi que ses hommes à manger avec eux ; mais Vladimir n’avala que quelques bouchées tant il avait hâte de partir à la chasse.

Il plaça, en quelques instants, ses compagnons en sentinelle çà et là parmi les buissons, tout autour du village, aux endroits où l’ours passerait probablement et il donna ses ordres : le premier qui apercevrait la bête, sonnerait instantanément du cor, pour avertir le reste de la troupe.

Le Prince avait choisi pour son poste — comme d’habitude — la place la plus dangereuse — un trou profond, étroit, obscur, entre deux énormes talus couverts de buissons. Beaucoup d’hommes n’auraient pas accepté cette place, car là il n’y avait point de chance d’échapper à l’ours ; mais Vladimir, d’un autre côté, la choisit parce qu’elle ne donnait aucune chance à l’ours de lui échapper, à lui.

Comme il se tenait là en pleine obscurité, sa fidèle épée tenue à deux mains, attendant l’arrivée de son terrible ennemi, on pouvait croire que Vladimir ne pensait qu’à son adversaire. Mais sa pensée voguait au loin, vers l’absent, vers Sylvestre. Il tentait de la ramener sur d’autres matières, mais chaque fois, obstinément, elle revenait au moine jusqu’à ce que le Prince, finalement, commença à se sentir inquiet, et à croire que quelque accident était survenu à son ami durant son long voyage solitaire à travers la tempête et la neige.

Chut ! Quel est ce faible bruissement, dans l’ombre épaisse des buissons ?

Au moment où les fines oreilles de Vladimir le perçurent, toutes les pensées qui le harcelaient s’enfuirent. L’ours arrivait enfin ! Le grand soldat s’établit fermement et se tint prêt à frapper.