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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

Trois ans avaient passé depuis que la hache de Sylvestre avait frappé la grande idole de Kief et ces trois années avaient vu bien des changements. L’enfant Tartare (baptisé « Cyril » parce qu’il fut pris le jour de ce saint) était devenu un garçon de quinze ans fort et agile. Vladimir avait conclu un traité amical entre lui et l’empereur grec qui lui avait donné, parmi d’autres présents, une armure grecque complète dont le Prince russe était très fier quoiqu’il s’en revêtait rarement pour combattre. La ville de Kief s’était fortement agrandie et d’habiles ingénieurs de Constantinople l’avaient fortifiée ; les Tartares et les autres tribus hostiles avaient été tellement intimidées par des défaites répétées que, depuis plus d’un an, les Russes n’avaient plus été dérangés.

Quant à Sylvestre, il était actif et plus infatigable que jamais, quoique ses fins cheveux grisonnaient déjà. Partout où une personne avait des peines ou des chagrins, partout où un district était ravagé par la peste ou la famine, un village détruit par l’inondation ou l’incendie, une querelle menaçante entre deux chefs, là était Sylvestre conseillant, aidant, encourageant et, lorsqu’on avait besoin de lui, travaillant vigoureusement de ses propres mains.

Il revenait, accompagné de son fidèle Cyril, d’une de ses missions — entreprise au cœur de l’hiver — lorsqu’ils furent assaillis par une tempête de neige qui les égara. La lune soudain darda ses rayons sur la plaine blanche et les deux voyageurs comprirent alors pourquoi le vent avait cessé subitement.

Derrière eux s’élevait une espèce de digue aux pentes escarpées dont la neige amoncelée au sommet, formait comme la crête frisée d’une vague argentine. En face d’eux s’étendait un vaste espace presque uni, à l’extrémité duquel ils virent un autre écueil pareil à celui dont ils descendaient la pente.

Cyril regarda autour de lui et se mit à rire.

— « Nous sommes arrivés au fleuve, père, et c’est très heureux. Cet écueil nous abritera du vent et aussi longtemps que nous marcherons sur la glace nous serons sûrs de ne plus perdre notre chemin. Asseyez-vous et reposez-vous un peu et bientôt vous serez dispos pour continuer notre route. »

Quelques minutes d’un frictionnement vigoureux réchauffèrent les membres à demi-gelés du brave moine, et, après un court repos, il se déclara prêt à poursuivre son chemin. Ils avaient à peine fait cent mètres sur le fleuve gelé que Cyril s’arrêta subitement et, retenant sa respiration, colla son oreille sur la neige et écouta.

Sylvestre put alors voir, sous le clair de lune qui les éclairait, l’horreur qui se peignit sur la mâle figure de son petit ami qui murmura, dans un chuchotement rauque, ces deux mots effrayants :

— « Les loups ! »

(À suivre.)