Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LA GRANDE IDOLE DE KIEF

Le matin suivant, l’animation s’accrut encore. La foule circulait devant le palais princier bâti sur la plus haute colline où Kief était construite. C’était un bâtiment long, bas qui, quoique trouvé très grand aux yeux des simples russes, ressemblerait aujourd’hui à une mauvaise écurie.

La raison de cette agitation était naturelle pourtant. Sur la place en face du palais — place où se tenait ordinairement le marché — du côté le plus éloigné de la route, une monstrueuse figure de sept à huit pieds de haut était hissée sur une plate-forme grossièrement érigée. C’était une image hideuse, sculptée et peinte affreusement et regardant partout à la fois comme les têtes qui ornèrent les vaisseaux des pirates lorsqu’ils hantaient les côtes d’Europe dans les temps orageux.

L’effroyable épouvantail, dont le bras droit tendu semblait vouloir jeter une épée ou tenir en main une proie, que des crocs noirs et immenses sortant de sa bouche attendaient pour dévorer, n’était autre que l’image de Peroon, le Dieu de la foudre que les Russes payens avaient adoré jusqu’à présent, et devant qui on devait immoler les prisonniers de guerre. Sylvestre connaissait ces coutumes barbares ; c’était dans ce but qu’il avait rappelé à Vladimir le serment prêté avant la bataille.

À peine les premiers rayons du soleil levant avaient-ils brillé sur la plaine, que la place du marché fut envahie par une foule avide qui se pressait et se poussait vers le groupe des prisonniers qui, les mains liées derrière le dos, étaient rangés autour de l’idole. Derrière ces condamnés un groupe d’êtres aux figures encore plus sauvages, les regardaient avec une convoitise cruelle. Ils étaient velus, leurs membres étaient décharnés, leurs corps qui portaient des cicatrices horribles étaient nus jusqu’à la ceinture, leurs poitrines étaient ornées de colliers de dents humaines, comme le sont maintenant encore les sorciers du Zoulouland. C’était les prêtres du Dieu de la Foudre dont le devoir consistait à sacrifier les victimes mourant en son honneur.

Le son du cor annonça l’arrivée du Prince qui venait prendre part à la cérémonie du jour.

Lorsqu’il sortit de son palais, ses gardes firent résonner leurs épées et leurs haches pour réjouir leur chef du bruit familier des armes de guerre. C’étaient tous de robustes et beaux hommes, cueillis parmi la fine fleur de l’armée de Vladimir ; mais le grand gouverneur des Russes était, par son maintien et par sa vigueur, le plus beau de tous ces guerriers.

La stature ambitieuse du Prince cachait presque complètement le moine, qui le suivait, tant celui-ci semblait petit à côté du grand soldat ; mais les lèvres de Sylvestre et ses grands yeux profonds et médi-