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L’ENFANT AUX DOIGTS ROUGES

Comme le prince bandait la blessure avec sa propre écharpe de soie Perse cramoisie — car les Russes de ce siècle, bien que sauvages, étaient passionnés de parures et leur vrai mot pour « beauté » (prekrasni) signifie littéralement rouge vif — le prince dis-je, remarqua que les doigts de la main droite de l’enfant étaient tachés du sang de la blessure.

— « Ah ! », s’écria Vladimir, « cela m’augure une bonne fortune, car un homme sage m’a prédit qu’elle viendrait à la vue de « doigts rouges ».

— « Dis plutôt, mon fils, » dit une voix derrière lui, « qu’elle t’arrivera par un acte de bonté, et qu’aucun bienfait n’est jamais oublié de Dieu. »

Tous tressaillirent et regardèrent autour d’eux ; l’enfant tartare contempla, stupéfait, celui qui venait de prononcer ces paroles et se douta qu’il était en présence d’un des plus grands hommes de son siècle.

En vérité qui n’aurait pas été étonné de voir, au milieu de ce champ de bataille, parmi ces sauvages dont les mains étaient rouges de sang, cet homme qui se tenait devant eux. Son aspect pâle, mince, délicat semblait efféminé à côté des effrayants et barbares visages des guerriers russes ; et près de toutes ces lances et ces haches de combat, de ces armures bossuées, de ces casques usés, de ces manteaux de peaux d’ours et de loups, son habit, à lui, contrastait évidemment : il était vêtu d’une robe grise attachée à la taille par une corde, telle que les portent les moines chrétiens.

Son visage était calme ; jamais, certainement, ni le chagrin, ni la crainte, ni la colère n’avaient agi sur lui, et le meilleur observateur consciencieux aurait remarqué que ce n’était pas un homme ordinaire. Bien qu’il était sans défense, il se tenait parmi ces rudes figures comme s’il était leur chef.

Douze mois auparavant, ce moine était encore obscur et méconnu. Vivant dans un des plus misérables quartiers de Constantinople, il travaillait jour et nuit pour les malheureux bannis. Un jour, un message de Vladimir de Russie arriva, demandant qu’un prêtre lui fût envoyé pour l’initier à la nouvelle religion dont il avait souvent entendu parler. Mais brave comme le clergé grec était, les moines tremblèrent tous à la pensée de s’aventurer dans une région qui était aussi périlleuse aux étrangers que l’Afrique l’est de nos jours. Et, le père Sylvestre, un des moines, dit simplement : « J’irai ». Il partit et, parmi ces hommes terribles qui croyaient peu et ne craignaient rien, il était déjà aussi puissant que le Prince Vladimir lui-même.

— « Veux-tu vivre avec nous et être mon fils ? » demanda le moine en présentant la main à l’enfant blessé et en souriant d’un sourire si doux et si aimant que sa figure ridée eut une expression d’ineffable bonté.