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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

Le russe montrant les dents, grogna et porta un coup terrible à son petit assaillant, mais celui-ci l’esquiva d’un saut de côté. Cependant la pointe de l’arme érafla l’enfant et lui fit une blessure profonde juste au dessous du coude.

Sa main impuissante laissa échapper son poignard et certes c’en était fait du pauvre garçon. Mais au moment où le guerrier russe allait le frapper pour la dernière fois, celui-ci reçut un formidable choc sur la tête et il s’en vint rouler sur le sol, pendant que sur lui se tenait, les poings serrés et les yeux brillants, un homme aux cheveux blonds, une courte épée à la ceinture.

— Chien, dit-il durement, penses-tu que les guerriers russes se battent contre les femmes et les enfants ?

Le Russe vaincu fit des efforts pour se relever, avide de vengeance, mais lorsqu’il vit son assaillant, il trembla de tout son être et disparut au plus vite, murmurant des malédictions ; il avait reconnu dans son nouvel ennemi, le jeune combattant qui avait tué, tout à l’heure, le géant Tartare.

Alors Féodor — car c’était vraiment lui — s’avança avec un sourire amical, vers le jeune blessé pour lui bander le bras, mais l’enfant le regardant fixement se retira avec précipitation, disant fièrement :

— Ne me faites pas grâce : je veux que vous me tuiez comme vous avez tué mon père !

— Quoi ? s’écria Féodor pendant que son visage intrépide s’obscurcissait, le géant, c’était votre père ?

— Oui, répondit sévèrement l’enfant, c’était toute notre vie et vous nous l’avez prise. Tuez-moi ainsi que ma mère, c’est mieux pour nous de mourir que d’être esclaves des Russes !

Féodor, ce jeune homme, qui quelques heures auparavant avait bravé la mort, tremblait, en entendant ces paroles amères de l’orphelin, comme un criminel devant son juge. Il resta silencieux et immobile, comme pétrifié, puis se courba, souleva tendrement la mère malade, l’assit contre le chariot renversé et, emplissant son casque au ruisseau, lui donna à boire tout en lui aspergeant la figure d’eau froide.

L’enfant tartare, étonné, regarda mais ne dit mot.

Vladimir qui contemplait cette scène sans intervenir, s’approcha du jeune garçon et lui dit :

— « Fils du grand Marnai, veux-tu me laisser soigner ta blessure ? »

La figure du Tartare s’enflamma en entendant prononcer le nom de son père par le plus grand guerrier de Russie. Il le regarda un instant avec fermeté, puis, sans une parole, tendit son bras.