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L’ENFANT AUX DOIGTS ROUGES

Et menés par le Prince[1] de Kief lui-même, le terrible « Vladimir » (maître du monde), dont l’épaisse chevelure blonde ballottait sur son cou nu comme une crinière et dont l’énorme main brandissait sa hache de bataille, ceux-ci s’élancèrent en grande trombe sur leurs adversaires indécis et découragés.

Les Tartares prenaient toujours avec eux de légers chariots dans lesquels ils voituraient leurs femmes et leurs enfants ainsi que le butin provenant des pillages. Ils avaient pour coutume de ranger ces wagons en carré, derrière leur armée, formant ainsi une espèce de camp fortifié tel qu’on les aperçoit de nos jours dans les « laagers » des Boers Hollandais du Transvaal.

Un retranchement aussi puissant, gardé par des hommes qui, à cent mètres, d’une flèche, attrapaient un corbeau au vol ou transperçaient d’un seul coup et l’armure et le corps d’un ennemi, avait fait du combat une bataille acharnée. Si les Tartares avaient seulement eu le temps de se rallier derrière ces chariots, ils auraient pu regagner les moments perdus, mais la poursuite fut trop violente pour leur donner cette chance de salut. Les Russes, victorieux, se trouvèrent au milieu d’eux et vainqueurs et vaincus, dans un mélange sanglant, se précipitèrent dans le camp comme une vague impétueuse.

Dans le tumulte et le tohu-bohu, le Prince Vladimir s’était séparé de ses hommes et se frayant un chemin à travers les combattants, il vit tout à coup une scène qu’il contempla avec intérêt.

Un chariot tartare, dans la poursuite et la confusion, avait été renversé et son contenu gisait par terre. À côté une vieille femme malade, évidemment sans secours, grimaçait pendant qu’un des guerriers russes, d’une main, la saisissait par les cheveux, et de l’autre agitait, au dessus de la tête de la pauvre vieille, une lourde épée rouge de sang.

Au moment où il allait frapper, le sauvage chancela en poussant un hurlement de douleur ; entre sa victime et lui une figure semblait être sortie de terre, tant elle était apparue soudainement.

C’était un enfant tartare svelte, à la face brune — paraissant âgé de douze ans, mais cependant actif et nerveux comme un chat sauvage — ses yeux noirs et perçants brillaient du feu de la bataille pendant qu’il opposait au lourd sabre du Russe, le court poignard qui venait de déchirer la joue de son adversaire. Il se tint ferme parmi les fuyards — le fils défendant sa mère.

  1. Le titre de Tsar fut attribué pour la première fois, par Ivan le Terrible, il y a 300 ans. Les premiers souverains russes étaient appelés « Veliki Knyaz » (Grand Prince) que l’on traduit maintenant par « Grand Duc ».