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lui-même remis sans réserve et pour toujours entre ses mains.

C’est ainsi que sera béni l’homme qui cherche Dieu de tout son cœur, et qui n’a pas reçu son âme en vain[1].

Ce disciple fidèle, en recevant la sainte Eucharistie, mérite d’obtenir la grâce d’une union plus grande avec le Seigneur, parce qu’il ne considère point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais, au-dessus de toute douceur et de toute consolation, l’honneur et la gloire de Dieu.

RÉFLEXION.

Bien qu’on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de désirer ses dons, pourvu qu’on demeure pleinement soumis à sa volonté sainte. Les grâces les plus précieuses ne sont pas toujours les grâces senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l’âme de lumière et de joie. Elles peuvent, si l’on n’y prend garde, exciter la vaine complaisance. Souvent il est plus sûr de marcher en cette vie dans les ténèbres de la pure foi, d’être éprouvé par la tristesse, la souffrance, l’amertume, et de porter la Croix intérieure comme Jésus, lorsqu’il s’écriait : Mon Père ! pourquoi m’avez-vous délaissé ?[2] Alors tout orgueil est abattu ; on ne trouve en soi qu’infirmité ; on s’humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour guérir, et ce saint exercice d’abnégation, plus méritoire pour l’âme fidèle et plus agréable à Dieu qu’aucune ferveur sensible, attendrit le céleste Époux et le ramène près de l’Épouse qui, privée de son bien-aimé, veillait dans sa douleur, semblable au passereau solitaire qui gémit sous le toit[3]. Il se découvre à elle dans la divine Eucharistie ; il la console, il lui prodigue ses chastes caresses, il l’embrase de son ainour, comme les disciples d’Emmaüs, alors qu’ils disaient : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les Écritures ?[4] Seigneur, je m’avoue indigne de goûter ces ravissantes douceurs. Je connais mon iniquité, et mon péché est sans cesse devant moi[5]. Que me devez-vous, sinon la rigueur et le châtiment ? Et toutefois j’oserai implorer votre miséricorde immense : je m’approcherai, le ront contre terre, de la source d’eau vive, espérant que votre pitié en laissera tomber quelques gouttes sur mon âme aride. Accordez moi, Seigneur, ce rafraîchissement avant que je m’en aille, et bientôt je ne serai plus[6].

  1. Ps. xxiii, 4.
  2. Marc. xv, 34.
  3. Ps. ci, 8.
  4. Luc. xxiv, 32.
  5. Ps. l, 5.
  6. Ps. xxviii, 14.