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Livre obscur et sans nom, humble vase d’argile,
Mais rempli jusqu’au bord des sucs de l’Évangile,
Où la sagesse humaine et divine, à longs flots,
Dans le cœur altéré coulent en peu de mots ;
Où chaque âme, à sa soif, vient, se penche et s’abreuve
Des gouttes de sueur du Christ à son épreuve ;
Trouve, selon le temps ou la peine ou l’effort,
Le lait de la mamelle ou le pain fort du fort,
Et, sous la croix où l’homme ingrat le crucifie,
Dans les larmes du Christ boit sa philosophie.

(Jocelyn, 6° époque.)

S. U. S. de Sacy (1801-1879).

L’esprit de piété et l’onction sont tellement répandus dans tout cet ouvrage, qu’on peut dire selon l’Apôtre, qu’il est comme la bonne odeur de Jésus-Christ, qui se communique et se fait sentir à tous ceux qui en approchent. L’auteur y parle partout avec tant de bonté, tant de charité et tant de lumière qu’il est visible que son ouvrage est plutôt une effusion de son cœur et de son ardente piété qu’une production de son esprit et de sa science. Il écrit toujours comme étant attentif à Dieu qui lui est présent, interrompant quelquefois ses discours pour lui : adresser la parole et mêlant d’excellentes prières avec les instructions qu’il nous propose.

Je rougirais de m’étendre ici sur le mérite littéraire de l’Imitation de Jésus-Christ, et de faire remarquer, par exemple, que l’antithèse est la figure de style la plus familière à l’auteur ; figure qui a autant de naturel sous sa plume qu’elle en a peu d’ordinaire dans les écrivains qui en font un fréquent usage. C’est du fond même de son sujet que sort cette opposition perpétuelle entre les misères de ce monde et les joies de l’autre ; entre le peu de prix des biens qui passent et l’incomparable valeur des biens qui ne passent pas ; entre la folie de ceux qui cherchent leur bonheur en eux-mêmes et la sagesse des saints qui n’aiment et ne cherchent et ne veulent posséder que Dieu. Lieux communs, sans doute, mais où est la source des grandes et durables émotions, sinon dans les lieux communs ? Où est l’éloquence, celle qui ne meurt pas, sinon dans l’expression de ces sentiments que nous portons tous en nous-mêmes, et qu’il n’appartient qu’à bien peu de rendre avec cette énergie et cette vérité qui font d’un lien commun le cri du cœur, le gémissement éternel de l’humanité ? Sans doute les âmes vraiment chrétiennes sen-