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À LESBOS

Des circonstances exceptionnelles avaient placé Eugène seul, en face des difficultés de l’existence.

Il appartenait à une famille protestante.

Son père, un grand vieillard sec, froid, pudibond, avait toujours au fond de ses poches une énorme bible, qu’il lisait sans cesse, comme un prêtre son bréviaire ; aussi, citait-il souvent les textes du livre saint.

Madame Badère, une fille mariée sur le tard et fière d’avoir conservé longtemps une virginité que personne ne convoitait, ne riait jamais, n’allait dans aucune partie de plaisir et n’éprouvait d’autre bonheur que celui de réciter les psaumes de l’Ancien Testament.

Eugène, étant enfant, avait écouté sans protester la lecture des versets ; puis il avait fini par trouver cette lecture quotidienne quelque peu indigeste.

Souvent le soir, à l’heure solennelle où son père, d’un geste imposant, ouvrait la vieille bible qui datait de plus d’un siècle, Eugène, avouons-le à sa honte, s’endormait profondément.

Ses parents, édifiés, crurent à du recueillement.

Une fois, il laissa entendre un ronflement sonore, qui ne pouvait laisser aucun doute sur sa coupable indifférence.

M. Badère se leva indigné.