Page:Kellec - A Lesbos, 1891.djvu/259

Cette page a été validée par deux contributeurs.
257
À LESBOS

— Quand avez-vous su que vous étiez perdu ?

— Hier, répondit-il, tout surpris des questions posées par sa fille.

— Le prêtre est venu quel jour ?

— Aujourd’hui.

Mademoiselle Fernez devint encore plus froide ; elle s’approcha du lit où gisait son père.

— Que voulez-vous que je vous pardonne ? demanda-t-elle.

— Les torts que j’ai eus envers toi.

— Ces torts, vous ne les connaissez que d’aujourd’hui ?

— Andrée.

— Attendez, mon père ; j’avais quinze ans, le jour où vous m’avez chassée de chez vous, où vous m’avez jetée dans la rue ; je n’avais alors ni foyer, ni pain, ni avenir !

Vingt ans se sont écoulés !

Pendant ce laps de temps, presque une existence entière, car mes cheveux blanchissent, mes forces faiblissent déjà, chacun de mes pas a été marqué par une déception, par une douleur cuisante ; j’ai laissé des lambeaux de ma chair à toutes les ronces du chemin ; j’ai meurtri mes pieds à toutes les pierres de la route ; pourtant vous viviez, vous pouviez compter toutes mes