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XXXV

Ah ! Porphyro ! dit-elle, il n’y a qu’un instant
Ta voix résonnait délicieusement à mon oreille
Faisant une tremblante harmonie de chacun de tes serments
Tes tristes yeux étaient vivants, pleins de douceur et clairs !
Quel changement t’advint ? comme tu es pâle, glacial et morne.
Je suis un pèlerin affamé et sauvé par miracle.
L’ayant trouvé, je ne saurai rien dérober de ton nid
Si ce n’est toi-même, ô douceur ! ne veux-tu pas te confier.
Belle Madeline, à des mains fidèles et qui ignorent la violence ?


XXXIX

Écoute ! cette tempête enchantée nous vient du pays féerique !
Elle semble folle de haine, elle n’est que bienfaisante ;
Lève-toi — lève-toi—le matin est proche.
Les buveurs gonflés de vin ne prêteront nulle attention.
Viens, mon amour ! que nous partions avec une hâte heureuse,
Il n’y a point d’oreilles pour entendre, point d’yeux pour voir ;
Ils sont tous noyés dans les vins Rhénois et les boissons assoupissantes.
Éveille-toi ! lève-toi ! mon amour, et sois sans crainte,
Car vers le sud au delà des Landes, ta demeure t’attend !


XL

Elle se hâte à ces mots, assaillie par mille terreurs,
Car il y avait des dragons dormants autour d’elle
Ou peut-être aux aguets, les yeux étincelants, les lances en avant.
En bas des grands escaliers ils trouvent un chemin enténébré.
Dans toute la maison, nul bruit humain ne s’entend.
Au bout d’une chaîne une lampe se balance devant chaque porte.
Les tapisseries riches de cavaliers, de faucons et de meutes
Tremblent assiégées par les hurlements du vent.
Et les longs tapis se soulèvent sur les parquets venteux...


XLI

Ils glissent, tels des fantômes, dans le vaste hall,
Tels des fantômes, sous le porche de fer ils se glissent.
 Là où le portier gît étendu plein de malaise,
Près d’un profond pichet vidé,
Le vigilant chien de garde se redresse, le cuir hérissé,
Mais son œil sagace a reconnu une habitante.
Un par un, les verrous avec facilité cèdent,
Les chaînes tombent silencieuses sur les pierres usagées.
Les clés tournent
=== no match ===
, et la porte grince sur ses charnières.


XLII

Et ils sont partis — oui, il y a bien longtemps
Que ces amants s’enfuirent dans la tempête.
Cette nuit-là, le baron rêva de malheurs sans nombre
Et ses hôtes, les guerriers, torturés par des ombres et des formes
De sorciers, de démons, de grandes larves de cimetières
Se débattirent dans des cauchemars. Angèle, la vieille,
Mourut tordue par une attaque, sa maigre face déformée.
Le diseur de chapelets, après son millième Ave
Pour toujours oublié s’endormit dans ses cendres glacées.