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ROMAIN D’ÉTRETAT.

— Ces steamboats, maître Pierre, ne viennent pas nous bombarder ; ils viennent faire des prisonniers, qu’ils vont emmener à Londres ; mais des prisonniers volontaires qui sont arrivés ce matin de Paris par le chemin de fer. Les Anglais ont eu une grande idée, maître Pierre ; ils ont élevé un palais de verre, et ils ont invité l’industrie du monde entier à venir y exposer ses produits à côté des leurs. La France et l’Angleterre vont encore une fois se mesurer, mais pacifiquement, sur le terrain des sciences, des arts, de l’industrie ; ces deux rivales se rencontrent partout, et grandissent l’une par l’autre ; cette guerre désormais la seule possible, cette guerre de progrès, la seule qui ne soit pas une horrible folie ; cette guerre, au lieu de répandre la mort, la désolation et la misère, donne aux combattants de part et d’autre la vie et la richesse.

Pendant que nous parlions ainsi, Pierre avait paré l’embarcation. Nos voiles hissées, doucement gonflées par le vent d’est, faisaient glisser le Goëland sur la face unie de la mer. Je tenais la barre ; Pierre, à l’avant, avait allumé sa pipe.

Il y a quelque temps, par une marée basse, j’ai