Page:Karr - Contes et nouvelles, 1867.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
CONTES ET NOUVELLES.

fauteuils de velours rouge et au secrétaire d’acajou qui ornent ma chambre ; adieu aux excellents dîners et aux vins de France.

Dans quelques jours, j’aurai une petite chambre sur les toits, meublée d’un lit de sangle, de deux chaises et d’une table ; je dînerai au cabaret.

Mais je serai chez moi, et je gagnerai ma vie ; mot bizarre, mais énergique… L’homme, qui a fait Dieu à son image ; l’homme, qui se pare si libéralement de tant d’avantages ; l’homme, le roi de la nature ; l’homme, qui prétend que tout est à lui, et que tout a été fait pour lui ; l’homme, pour boire, manger et dormir, pour remonter les ressorts de sa misérable machine, pour mettre un peu d’huile dans ses rouages, est forcé de vendre les deux tiers de sa vie à un autre homme plus riche que lui. Ainsi, l’homme dont je vais être le secrétaire a d’abord sa vie à lui tout entière, puis celle de tous les malheureux comme moi qu’il emploie ; il a à lui chaque jour trente-six heures, et, moi, je n’en ai que huit.

Et je voyais tout le monde gagner sa vie, et je me disais :