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POUR NE PAS ÊTRE TREIZE.

Milbert essaya à son tour. Mais ce n’était pas cela ; on recommença encore. Fanny était debout derrière le fauteuil de sa mère, et à sa droite ; Milbert était dans la même position, mais de l’autre côté ; et elle redit cette chanson allemande dont le sens est :

« Toutes les magnificences de la nature, le silence imposant de la nuit, les odeurs des fleurs, les rayons pâles de la lune à travers les panaches verts des arbres, les étoiles, fleurs de feu semées dans le ciel, les lucioles, fleurs de feu semées dans l’herbe, tout cela a été créé pour rendre le monde digne de l’homme au moment où, pour la première fois, il dit à une femme : Je t’aime ! mot formé d’un céleste parfum de l’âme, qui s’exhale et monte au ciel avec les parfums des fleurs, moment le seul dans sa vie où il est roi, où il est Dieu, moment qu’il paye et expie par toute une existence de regrets amers. Ce moment, c’est le prix de toutes nos misères. »

Fanny avait chanté avec une expression de douce tristesse. Eugène répéta le couplet avec enthousiasme ; leurs yeux se rencontrèrent, et se donnèrent un long baiser d’âme ; leurs mains,