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POUR NE PAS ÊTRE TREIZE.

— J’y suis retourné bien des fois depuis votre départ, lui dit-il.

— Monsieur Milbert, dit-elle, je cause avec vous comme peut-être je ne le devrais pas faire ; mais tous les gens qui m’entourent sont si heureux, que je ne me sens de confiance pour aucun. Vous, vous êtes livré sans appui à toutes les chances de la vie ; moi, on me fait d’un seul bond passer par-dessus toutes les rêveries et toutes les joies de la jeunesse : on me marie à un homme plus âgé que mon père.

— Vous ! s’écria Milbert.

— Dans quatre mois, dit-elle.

Ils restèrent tous deux silencieux.

— Où allez-vous ? dit-elle un peu après, et que comptez-vous faire ?

— J’allais à Genève pour occuper une petite place ; mes parents ne m’ont donné d’autre profession que d’attendre l’héritage de mon oncle, et je vous assure que c’est une triste chose !

— Je prierai quelquefois pour vous ; pour moi, on ne peut même pas prier pour moi, car ma vie est fixée et renfermée dans d’étroites li-