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BOURET ET GAUSSIN.

crétaire de monseigneur. Alors il fallait dire adieu à ses beaux songes, avec l’espoir de les retrouver le soir.

Un jour, le comte chargea son secrétaire d’une lettre pour mademoiselle Gaussin, l’actrice la plus séduisante et la plus à la mode qui fût alors. Le secrétaire en chargea Bouret ; celui-ci eut la fantaisie de voir ce qu’on pouvait écrire à mademoiselle Gaussin. Il ouvrit la lettre et n’y trouva que du papier pour une valeur de quinze mille francs. D’abord, il fut fâché que cette femme si belle, qu’il avait vue une fois au théâtre, et dont il avait gardé un profond souvenir, vendît ainsi son amour.

Il pensa que lui, avec son cœur, jeune et altéré de bonheur, avait à donner des trésors qui valaient plus de quinze mille francs ; puis il arriva à trouver le comte bien heureux d’avoir quinze mille francs, et à se dire :

— Quand aurai-je quinze mille francs ?

Il porta la lettre et vit la belle Gaussin. Il la quitta amoureux comme un fou, jaloux comme un tigre du bonheur qu’achetait son maître. Pendant les jours qui suivirent, il croyait tou-