Page:Karr - Contes et nouvelles, 1867.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
CONTES ET NOUVELLES.

À vingt ans de là, la danseuse ne dansait plus : un monstrueux embonpoint l’avait éloignée du théâtre, et avait éloigné d’elle ses adorateurs. La sylphide, autrefois si brillante, que des chevaux écumants semblaient fiers de promener, que de riches cavaliers suivaient, s’efforçant d’attirer un regard, un sourire, seule, presque pauvre, allait à pied dans une douillette de soie violette, le matin, à l’église, à deux heures, à la place Royale, et, le soir, chez quelques amis, faire une partie de whist.

Le marquis, de son côté, était marié, père de famille, et honoré d’une place dans la vénerie d’un roi qui ne chassait pas. C’était un homme calme, rangé, et ne se rappelant ses plaisirs de jeunesse que pour les blâmer dans les autres, ainsi qu’il arrive à tous les hommes qui appellent crimes les plaisirs qui leur échappent, et vertus les infirmités qui leur arrivent.

Or, il advint, un soir, que la danseuse n’alla pas faire sa partie de whist, et qu’elle resta seule dans son modeste logement.

D’abord, elle s’ennuya. Quand le moment présent n’apporte ni plaisir ni chagrin qui puissent